À partir de novembre 2021 et jusqu'à la fin de l'année, une série d'événements pour connaitre ceux qui se battent quotidiennement pour une société plus égalitaire, dans laquelle les femmes et les hommes ont les mêmes droits économiques, sociaux, culturels et politiques. Des hommes et des femmes unis dans la lutte pour les droits de tous.
Adelphité est un mot qui dérive du grec adelph-(αδελφ-) et signifie à la fois sœur (adelphé) et frère (adelphos), mais sans faire de distinction de genre. Incorporant les deux mots "sororité" (entre femmes) et "fraternité" (entre hommes), l'adelphité désigne les relations solidaires et harmonieuses entre les êtres humains, femmes et hommes.
La solidarité est un concept empathique et éthique qui devient politique et nécessaire pour surmonter les obstacles imposés par la diversité et l'inégalité. Dans cette série de témoignages, nous raconterons les différentes expériences de personnes, femmes et hommes, qui ont un engagement éthique, social et politique envers la solidarité et le féminisme.
Le féminisme signifie combattre le sexisme, pas le sexe opposé. Les femmes et les hommes qui se disent "féministes" œuvrent à la création d'une société inclusive et plus égalitaire dans laquelle chaque personne a les mêmes droits économiques, sociaux, culturels et politiques.
C'est précisément parce qu'il existe encore une forte asymétrie sociale et culturelle entre les femmes et les hommes que l'adelphitéet le féminismesont nécessaires pour dénoncer cette situation et promouvoir l'égalité au-delà des différences en déconstruisant les stéréotypes et le sexisme.
8 mars 2021 - Dialogues d'activisme - Bouaré Bintou Founé Samaké, juriste, féministe et militante, Ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille du Mali
Au Mali, l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS) soutien, techniquement et financièrement, le programme « Elimination des violences basées sur le Genre au Mali à travers une approche holistique et intégrée d’offre de services de qualité au niveau national », une initiative mise en œuvre par l’UNFPA, en partenariat avec les Ministères en charge de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille (MPFEF) et de la Santé et Développement. Le projet, d’une durée de trois ans, a démarré le 01/01/2020 et se terminera le 31/12/2022.
L’objectif du projet est de « contribuer à l’élimination des Violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG) envers les femmes et les filles ainsi que les cas de morbidité et de décès maternels, à travers un cadre institutionnel renforcé, une implication et responsabilisation des communautés et un accès effectif et équitable aux services appropriés y compris les services de santé sexuelle et reproductive ».
Cependant, le plaidoyer pour l’abandon de certaines normes sociales défavorables à la santé et au bien-être des femmes et des filles reste l’un des défis majeurs du projet. En effet, les pressions sociales créent une instabilité de l’environnement socioculturel freinant le plaidoyer en faveur de la loi sur les VBG. Dans ce contexte, le projet vise à renforcer la coordination des interventions dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive et des VBG à travers la collaboration et l’appui au Ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille.
Au Mali, le nombre de cas de violences basées sur le genre (VBG) rapportés est passé de 2021 cas de janvier à juillet 2019 à 2981 cas de janvier à juillet 2020 ; soit une augmentation de 47 %. Ces données révèlent que 99 % des personnes touchées sont des femmes et 36 % des VBG sont des violences sexuelles. L'absence de loi spécifique pour traiter les VBG et la faible application des textes juridiques protégeant les femmes et les filles restent des facteurs contribuant à l'augmentation du nombre de cas. En outre, dans le contexte socioculturel malien et selon une étude du UNFPA (mai 2020), les VBG pourraient augmenter de 49% et plus en raison de la pandémie de COVID 19.
Ainsi, nous nous sommes entretenus avec Mme Bouaré Bintou Founé Samaké, juriste, féministe et activiste qui, le 05 octobre 2020, a été nommée Ministre de la Promotion de la Femme, de l'enfant et de la famille du Mali.
Avant sa nomination, Mme Bouaré Bintou Founé Samaké a été, pendant 20 ans, la Représentante Pays de WILDAF, un réseau regroupant une vingtaine d’associations et une cinquantaine de membres individuels pour la protection et la promotion des droits des femmes et de l'enfant et l’accès à la justice.
Mme Bouaré Bintou Founé Samaké consacre son travail à l'amélioration et la protection des droits des femmes au Mali, en offrant une assistance juridique, une formation sur les droits humains des femmes et des enfants, un accompagnement aux femmes victimes de violence et un soutien au leadership féminin et à la défense des droits. Elle a notamment contribué à l'élaboration de programmes d'études et de formation pour un corps de formateurs para-juridiques. Elle s’est toujours consacrée à la lutte pour l'égalité des sexes et à la mise en œuvre des conventions internationales que le Mali a ratifiées.
Dans un contexte tendu où les islamistes réclament la démission de la Ministre de la Promotion de la femme, de l'enfant et de la famille , nous l'avons rencontrée pour discuter avec elle de questions brûlantes telles que l'engagement et le rôle des femmes dans la société malienne d'aujourd'hui, en politique et dans la lutte contre la violence de genre (VBG). Cordiale et souriante, Bouaré Bintou Founé Samaké, ne se déclare plus la militante d’antan, mais la responsable appelée à s'engager dans son devoir de citoyenne dans un pays fortement touché par une crise multisectorielle.
Elle s'est engagée à réaliser, avec le nouveau gouvernement de transition, toutes les actions identifiées dans le programme national récemment adopté par le Comité national de transition. En tant que ministre pour un mandat de 18 mois, Mme Bouaré poursuit avec audace et fierté la promotion du rôle positif des femmes et de la famille.
Parlant de la situation actuelle des droits des femmes et des droits humains en général, la ministre a souligné que le contexte post-conflit du Mali aujourd'hui, n'est pas du tout encourageant. « Nous nous efforçons de garantir le respect des droits, car de graves violations des droits humains continuent d'être enregistrées. Les femmes, dans le cadre d'un contexte économique informel, ont été fortement touchées par la pandémie de COVID 19. En ayant plus accès à leurs source de revenus courantes, la violence a éclaté avec plus de véhémence. La fermeture des écoles a également exposé les filles à différentes formes de violence ». Mme Bouaré souligne également que « pendant cette période de pandémie, les structures sanitaires ont été confrontées à la question de comprendre comment protéger les nouveau nés de l'infection de COVID 19. Ces femmes devaient bénéficier d'une double protection : la leur et celle de leurs enfants ». La ministre, préoccupée par la situation que vivent les femmes, s'interroge également sur l'accès aux vaccins et les délais de distribution. Les femmes y auront-elles facilement accès ? (NDLR : les premiers vaccins sont arrivés au Mali le 05/03/2021).
S’agissant de l'engagement politique des femmes maliennes, il porte principalement sur la promotion des réformes. Dans les mois à venir, le pays se préparera à réformer la Constitution, et les femmes devront se battre pour que tout ce que les activistes ont gagné dans le passé soit protégé. Les femmes devront se battre pour les futures élections législatives et municipales qui auront lieu prochainement au Mali, sans parler des questions de paix et de sécurité, fronts sur lesquels les femmes devront aussi continuer à s’engager. Impensable jusqu’à récemment, les femmes maliennes sont désormais inclues dans le comité de suivi de l'accord de paix et il est prévu d'accroître leur présence.
Cependant, fortement souhaité par les femmes maliennes et soutenu par la ministre de la promotion de la femme, de l'enfant et de la famille, le processus d'adoption de la proposition de loi sur la violence basée sur le genre (VBG) a une fois de plus été abandonné par le gouvernement de transition, en raison de fortes pressions de la communauté religieuse.
Cette loi étant en processus d’élaboration, Mme Bouaré a déclaré qu'il s'agit d'une loi "ouverte" qui doit naître du dialogue et du consensus, et non de la confrontation. Selon la Ministre, la plupart des Maliens sont conscients que la violence sexiste existe et que les femmes et les filles en sont souvent victimes. Elle est sûre que pendant son mandat ou après, cette loi sera adoptée au Mali en raison de cette prise de conscience commune. Elle déclare qu'elle n'a pas peur parce qu'elle ne fait "rien qui puisse peser sur sa conscience" et c'est l'essentiel. Bien qu'elle se trouve dans un contexte difficile, la crainte que quelqu'un puisse lui faire du mal, à elle ou à sa famille, n’est pas un frein à son engagement. Face aux menaces et aux insultes, elle n'a courageusement jamais hésité à défendre les autres, déclarant qu'elle travaille avec ténacité pour transformer le conflit en dialogue.
Le concept de féminisme a également été évoqué avec elle lors de cet entretien. Pour elle, juriste, activiste et ministre, il est nécessaire de se référer au contexte, aux circonstances et aux différentes situations. Aujourd'hui au Mali, les féministes se battent pour l'égalité entre les sexes et pour la non-marginalisation des femmes. C'est sa conception du féminisme, c'est-à-dire une lutte que chaque femme mène pour que toutes les personnes aient la même possibilité d'accéder à l'école, aux soins de santé et à tous les services de base.
Par Eugenia PISANI/Claudia BERLENDIS